Revue de Presse. Le Monde 12 mai 2012

Prise la main dans l’huile… de l’huile pimentée aux polychlrobiphényles, les fameux PCB. Soupçonnée d’avoir triché vis-à-vis de l’administration, menti à ses clients, manipulé avec désinvolture des déchets dangereux, la société Chimirec, son dirigeant, Jean Fixot, et six de ses cadres vont devoir répondre aux interrogations du tribunal correctionnel de Paris pendant plusieurs jours. A l’issue de cinq années d’une instruction menée notamment par l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique, le procès a débuté lundi 14 mai.
Le groupe a déjà fait parler de lui ces derniers mois par l’intermédiaire de sa filiale Aprochim. Celle-ci a pour vocation de décontaminer huiles et masses métalliques souillées par des PCB. Son usine est implantée à Grez-en-Bouère, dans un coin verdoyant de Mayenne. En 2011, des analyses ont révélé dans les prairies alentour, des taux de contamination aux PCB si élevés qu’il a fallu abattre six troupeaux de bovins. Mauvaise publicité.
Ce n’est pas pour avoir pollué ses voisins de Mayenne que Chimirec est mise en cause cette fois, mais pour avoir organisé un trafic de produits dangereux – à savoir les huiles contaminées aux PCB – dans les années 1980. Le groupe prétend alors posséder sa propre façon de traiter les huiles contaminées. On découvrira ensuite qu’il se contente surtout de les mélanger avec d’autres huiles usagées afin de faire baisser le taux de PCB.
Laissant entier le problème de ces substances toxiques extrêmement résistantes. Très peu biodégradables, ces composés chlorés sont considérés comme des perturbateurs endocriniens, cancérigènes probables. Ils s’accumulent dans la chaîne alimentaire, se retrouvent dans l’air, le sol, l’eau, puis dans les plantes, les animaux et chez les hommes.
Leur production est interdite depuis 1987, mais il faut bien éliminer les appareils électriques – notamment les anciens transformateurs à pyralène – qui en contiennent. Avec précaution. Le stockage et le transport de ces déchets dangereux sont interdits sauf autorisation expresse. Du producteur à l’éliminateur, en passant par le collecteur, la traçabilité doit être totale. Dans cette affaire, on en est loin : les chargements circulaient fréquemment avec de faux documents entre trois sites du groupe avant d’arriver chez les clients : des cimenteries qui utilisent les huiles retraitées comme combustible.

Aprochim est la seule des trois installations à avoir reçu l’agrément nécessaire pour décontaminer par déchloreuse les huiles polluées. Ses « fournisseurs » en PCB paient 200 euros la tonne pour ce travail. Une fois décontaminés, les lots de liquide visqueux sont cédés à une autre entité de Chimirec située à Dugny (Seine-Saint-Denis), qui leur fait subir un autre traitement, puis ils sont vendus 450 euros la tonne.
Voilà pour le circuit officiel. En réalité, les huiles étaient simplement diluées à deux reprises, voire une troisième fois à Domjevin, en Meurthe-et-Moselle – qui, comme le site de Dugny, n’était pas autorisé à les recevoir, encore moins à les traiter -, lorsque la cimenterie cliente constatait un taux de PCB trop élevé et retournait la livraison. Au passage, Chimirec percevait des subventions de l’Agence de l’environnement et de maîtrise de l’énergie (Ademe), qui augmentaient en même temps que grossissaient les volumes d’huile.
L’établissement public s’est constitué partie civile et espère obtenir un retour du trop-perçu et 500 000 euros de dommages et intérêts, confie son avocat, Benoist Busson. « Ce procès va être exemplaire : on va se pencher sur une pollution assumée, menée pendant plusieurs années et à grande échelle », résume celui qui défendra aussi les associations France Nature Environnement et Mayenne Nature Environnement dans cette affaire. « C’est de la délinquance en col blanc qui repose sur un système très sophistiqué ! » D’autres organisations écologistes pourraient les rejoindre sur le banc des parties civiles.

Chimirec est une holding internationale. Sur son site, elle vante ses engagements en faveur du respect de l’environnement et des réglementations. Elle compte une trentaine d’implantations, dont quatorze plates-formes de collecte de déchets, 925 collaborateurs dont 780 en France. Elle a prospéré dans les années 2000. Son chiffre d’affaires ne cesse de grimper : 117,5 millions d’euros en 2008, 127 millions deux ans plus tard.

On peut s’étonner – et s’inquiéter – qu’un groupe de cette ampleur « bricole » ainsi des huiles usagées. Car le système mis à jour n’a guère donné lieu à des contrôles de la part de l’Etat. Or il paraît s’être mis en place pour pallier l’incapacité d’Aprochim de venir à bout de ses huiles contaminées de longue date. Il semble que l’entreprise de Grez-en-Bouère ne parvenait ni à les décontaminer ni à les stocker depuis 1994. Dix ans plus tard, elle avait acquis un procédé qu’elle vantait comme révolutionnaire. Sauf qu’il ne fonctionnait pas. Amère ironie, cette formidable invention lui avait valu un prix décerné par l’Ademe en 2006.

 L’ensemble des salariés entendus au cours de l’instruction – cadres, caristes, secrétaires – admettent le trafic d’huiles contaminées. Seul le président, Jean Fixot – fils du fondateur de l’entreprise -, s’obstine à nier. Depuis que l’affaire a commencé à s’ébruiter avec les déboires d’Aprochim, il se montre intraitable et poursuit quiconque s’avise de risquer d’écorner sa présomption d’innocence, jusqu’à la moindre petite association.

 Cependant, le dirigeant de Chimirec est renvoyé devant le tribunal pour avoir avec les trois sociétés citées « éliminé de façon irrégulière des déchets nuisibles », ne pas avoir signalé ses stocks pollués auprès de l’administration de l’environnement, avoir détruit des « fiches de résultats d’analyses », falsifié « les rapports d’activité, les registres d’entrées et de sorties des sociétés », « fait usage de ces faux au préjudice des clients », présenté « des faux certificats de destruction de déchets dangereux »

Sa défense devrait passer par une sévère bataille d’interprétation des textes officiels. Son avocat pourrait opposer une question prioritaire de constitutionnalité, estimant que le code de l’environnement manque de précision. Le procès pourrait alors d’être reporté. La vraie question restera de toute façon sans réponse puisqu’elle porte sur la dissémination des PCB. Quel impact sur l’environnement ont produit ces substances toxiques que l’industriel n’a pas traitées ?

Martine Valo – Le Monde

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Deux éleveurs riverains d’Aprochim ont porté plainte

Le procès de Chimirec à Paris devrait être suivi de près par les riverains d’Aprochim en Mayenne. Deux d’entre eux ont déposé une plainte auprès du parquet de Laval pour « mise en danger de la vie d’autrui et pollution » après la découverte de la contamination aux PCB de terres voisinant l’usine de Grez-en-Bouère en 2011. Le conseil régional des Pays de la Loire s’est joint à leur démarche. Huit fermes ont un temps été mises sous séquestre à cause des PCB, plus de 300 bovins ont été abattus. En attendant que la justice tranche, la situation de plusieurs agriculteurs est dramatique. Ils ne peuvent plus produire, ont perdu leur label bio ou simplement la confiance de leurs clients.

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