On sait que, suite au rapport Labetoulle, le législateur a créé l’article L600-1-2 au code de l’urbanisme qui dispose qu’un riverain d’un projet « n’est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager que si la construction, l’aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d’une promesse de vente, de bail, ou d’un contrat préliminaire mentionné à l’article L. 261-15 du code de la construction et de l’habitation ».

Autrement dit, il ne suffit plus de revendiquer sa seule qualité de voisin qui créerait une sorte de présomption d’intérêt pour agir ; il faut démontrer que le projet va boucher la vue du riverain, créer un effet de resserrement, lui occasionner une perte d’ensoleillement ou de luminosité, augmenter les nuisances (augmentation du trafic dans la rue par exemple) …

Dans son arrêt du 10 juin 2015 (386121), le Conseil d’Etat a donné une illustration.

Les requérants contestaient le permis de construire en vue de la réalisation d’une station de conversion électrique.

Le Conseil d’Etat a posé que

–       d’une part, le simple fait de voir l’installation et d’être situé à 700 m. de celle-ci ne suffisait pas à justifier d’une atteinte à un droit, c’est l’application de l’abandon de la présomption d’atteinte ;

–       mais, d’autre part, qu’il était suffisamment établi que le projet serait source de nuisances sonores, en comparaison avec une autre installation de ce type située à 1,6 km .

Au stade de la preuve de la nuisance, le Conseil d’Etat s’est contenté d’un début de preuve qu’il a estimé suffisant, le constructeur ne démontrant pas que le risque de nuisances n’existait pas.

Dans un arrêt du 2 juillet 2015 (14MA01665) la Cour administrative d’appel de Marseille a ainsi rejeté le recours du riverain qui n’avait pas démontré, alors pourtant qu’il y avait été invité, où se situait son appartement par rapport au projet attaqué et alors que le pétitionnaire indiquait que le requérant étant situé à 300 m. de son projet ; d’autre part, la cour a estimé que n’était pas démontré une augmentation du trafic dans la rue vu l’ampleur limitée du projet et la création de places de stationnement prévue ; elle a enfin rejeté l’argument général de « l’atteinte alléguée à la vocation originelle du lotissement portée par le projet contesté ».

De la sorte, la Cour a été relativement sévère en allant nous semble-t-il plus loin que ce qu’exigeait l’arrêt du Conseil d’Etat du 10 juin 2015 qui pouvait laisser penser qu’en cas de doute ou simplement de risque de nuisance, l’intérêt pour agir du riverain était admis.

Dans un arrêt du 24 juillet 2015 (14NT02410), la cour de Nantes a ainsi rejeté le recours d’un propriétaire de parcelles agricoles non construites contre un projet d’extension d’une maison situé à 150 m. aux motifs que ses parcelles n’étant pas construites, il ne pouvait revendiquer aucune atteinte directe à ses droits.

C’est dans ce contexte qu’intervient l’arrêt CE du 10 février 2016 n° 387507, qui sera publié au recueil.

Le Conseil d’Etat approuve le premier juge d’avoir dénié l’intérêt pour agir du riverain en rappelant dans un considération de principe « que les écritures et les documents produits par l’auteur du recours doivent faire apparaître clairement en quoi les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien sont susceptibles d’être directement affectées par le projet litigieux ».

Le glissement sémantique apparaît avec l’adverbe « clairement » : le requérant avait seulement établi être propriétaire de la parcelle voisine, démontré être mitoyen et être en « co-visibilité » avec le projet.

Il avait pourtant aussi produit un plan « sommaire des parcelles » mentionnant qu’une façade du projet fortement vitrée créerait des vues dans sa direction.

La sévérité des juges doit donc être soulignée en ce qui concerne la preuve de l’atteinte à un droit ; ceci dit, dans certains cas, dès lors qu’est en cause non l’implantation du projet mais son fonctionnement, il nous semble que l’arrêt du 10 juin 2015 n’est pas remis en question : pour les nuisances sonores, les odeurs etc. le riverain devra démontrer que l’installation sera source de nuisances et que, vu sa distance, même éloignée de plusieurs centaines de mètres, il y aura un risque d’atteinte à ses droits, mais on ne peut guère exiger plus de lui

D’autre part, l’arrêt du 10 février 2016 a été rendu par le CE en tant que juge de cassation qui opérait un contrôle limité de la qualification juridique des faits par le premier juge.

En résumé, on conseillera au requérant de produire des photographies aériennes avec fonds cadastral et des plans de coupe expliquant les vues créées, quitte à reprendre ceux du dossier de permis de construire de son voisin, mais en les annotant ; de même, des photographies prises à partir du terrain du requérant, assorties d’un montage représentant le futur projet, la mention des distances, l’orientation, la pente du terrain … semblent indispensables pour démontrer la vue bouchée ou la création de vues, la perte de luminosité etc. et sécuriser ainsi la recevabilité de l’action.

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