2022 – 2024
Sélection de jugements du Tribunal administratif de BASTIA et de la cour administrative d’appel de Marseille sur les thèmes : destruction d’espèces, urbanisme, loi littoral/montagne.
TA Bastia, 29 septembre 2022, n° 2001453 :
Se fondant sur les règles applicables à toutes les enquêtes publiques, le tribunal annule un plan local d’urbanisme (PLU) au motif que le rapport et les conclusions du commissaire enquêteur n’avaient pas été publiés en temps utiles. En effet, l’article R. 123-21 du Code de l’environnement impose à l’autorité organisant l’enquête publique de les publier sur le site de l’enquête et aux mairies de les tenir « sans délai » à disposition du public.
Dans l’affaire, les conclusions et l’avis du commissaire avaient été transmis à la commune le 15 janvier 2020, qui les avait publiés en ligne le 26 octobre 2020 avant d’adopter la délibération sur le PLU le 30 octobre 2020.
TA Bastia, 18 novembre 2022, 2001325 :
L’entreprise bénéficiaire d’une autorisation d’exploiter une ICPE est recevable à demander l’annulation de l’arrêté préfectoral fixant des prescriptions « complémentaires » même si celui-ci constitue un acte favorable. La fin de non-recevoir opposée en défense selon laquelle cet arrêté ne constitue pas un acte administratif faisant grief à la société est écartée par les juges.
TA Bastia, 18 novembre 2022, n° 2100552 :
Dans le jugement rapporté, le juge précise les conditions d’application du III de l’article 42 de la loi n°2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi ELAN.
« III.-Jusqu’au 31 décembre 2021, des constructions et installations qui n’ont pas pour effet d’étendre le périmètre du bâti existant, ni de modifier de manière significative les caractéristiques de ce bâti, peuvent être autorisées avec l’accord de l’autorité administrative compétente de l’Etat, après avis de la commission départementale de la nature des paysages et des sites, dans les secteurs mentionnés au deuxième alinéa de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction résultant de la présente loi, mais non identifiés par le schéma de cohérence territoriale ou non délimités par le plan local d’urbanisme en l’absence de modification ou de révision de ces documents initiée postérieurement à la publication de la présente loi. »
En l’espèce, les requérants demandent l’annulation d’un arrêté délivrant un permis de construire sur la commune de Conca. Cet arrêté est annulé aux motifs que le projet se situe dans un espace proche du rivage (article L.121-13 c. urba) et dans la « bande littorale des 100 mètres » (article L.121-8 du c. urba).
Surtout, le Tribunal fonde l’annulation de l’acte sur la mauvaise application de l’article L.121-8 du code de l’urbanisme et de l’article 42 de la loi « ELAN ».
D’une part, en l’absence de PLU et de SCOT, la faculté de délivrer une autorisation d’urbanisme après accord du préfet et avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites, dans les secteurs déjà urbanisés ne constitue qu’une faculté pour l’autorité administrative. Il revient à la personne qui demande une telle autorisation de bénéficier de ce régime dérogatoire et temporaire défini au III de l’article 42.
D’autre part, la présence d’habitations ainsi que de voies et réseaux desservant le terrain ne permet pas de le considérer comme un espace déjà urbanisé au sens de l’article L.121-8 du code de l’urbanisme tel que précisé par le PADDUC.
Ce jugement est l’occasion de rappeler que le régime transitoire et temporaire posé par l’article 42 de la loi « ELAN » s’interprète au regard des dispositions de l’article L.121-8 du code de l’urbanisme qu’il modifie mais également au regard de celles du PADDUC en l’absence de tout autre document local d’urbanisme.
TA Bastia, 1ère Chambre, 14 mars 2023, 2100909 :
C’est sans surprise que le Tribunal administratif de Bastia a rappelé les règles de compatibilité entre un document local d’urbanisme et les dispositions du PADDUC.
Pour rejeter la demande du requérant tendant à l’annulation de l’arrêté lui refusant un permis de construire, les juges relèvent notamment que l’absence de mise en compatibilité de la carte communale avec le PADDUC ne la rend pas de ce fait inopposable aux autorisations d’urbanisme.
En effet, l’article L.131-7 du code de l’urbanisme dans sa rédaction alors applicable imposait, en l’espèce, une mise en compatibilité de la carte communale avec les dispositions du PADDUC adoptées postérieurement. Le délai imparti était de trois ans.
Ainsi, les juges soulignent qu’à défaut de mise en compatibilité, aucune disposition législative ou réglementaire a pour effet de rendre cette carte inopposable aux tiers. Ceci démontre bien les limites de la notion compatibilité dont la mise en œuvre est certes exigée dans un temps imparti mais dont le défaut n’est pas sanctionné.
En outre, le requérant ne peut, par voie d’exception, soutenir que le classement de sa parcelle en zone non constructible par la carte communale est entaché d’erreur manifeste dès lors que ce classement est justifié par l’absence de toute construction autour de la parcelle d’implantation du projet. De plus, le simple fait que des autorisations d’urbanisme aient été délivrées à proximité immédiate de la parcelle ne suffit pas à justifier un classement en zone constructible si les travaux ne sont pas achevés à la date de l’arrêté litigieux.
TA Bastia, 7 juillet 2023, n°2101207 :
Saisi par l’association U LEVANTE, le tribunal annule la décision implicite de rejet du maire de Lecci de saisir le conseil municipal de la commune afin d’abroger le plan local d’urbanisme (PLU) approuvé en 2007 et modifié à trois reprises entre 2012 et 2014.
Les juges se fondent sur les dispositions des articles L.121-8 et L.121-13 du code de l’urbanisme telles que précisées par le plan d’aménagement et de développement durable de la Corse (PADDUC) pour déclarer ce refus illégal.
Plus précisément, l’ouverture à l’urbanisation prévue dans le PLU modifié ne respectait pas le principe d’une urbanisation en continuité avec les agglomérations, villages existants et espaces urbanisés. Le tribunal rappelle ainsi que ne sont pas des espaces urbanisés les habitats, les zones à vocation touristique, les lotissements et infrastructures sportives, les campings, les zones à vocation économique accueillant des activités de nautisme, de plaisance et d’intérêt général lorsque les constructions sont éparses et/ou limitées.
En revanche, des hameaux anciens partiellement construits peuvent constituer un espace urbanisé au sens de l’article L.121-8 du code de l’urbanisme tel que précisé par le PADDUC.
Les juges statuent également sur la méconnaissance des dispositions de l’article L.121-13 du code de l’urbanisme telles que précisées par le PADDUC qui posent le principe d’une extension de l’urbanisation « limitée » dans les espaces proches du rivage (EPR).
L’ouverture à l’urbanisation dans les EPR identifiés sur la commune de Lecci, en plus de ne pas respecter les dispositions de l’article L.121-8 du code de l’urbanisme, méconnaissait les dispositions de l’article L.121-13 précité. En effet, la simple ouverture à l’urbanisation d’une zone délimitée dans le PLU modifié ne constitue pas une extension dite « limitée » de l’urbanisation.
Le tribunal réaffirme ainsi les critères strictement posés par l’article L.121-8 du code de l’urbanisme et précisés par le PADDUC quant à l’identification des villages, agglomérations et autres secteurs déjà urbanisés.
TA Bastia, 7 décembre 2023, n°2200361 :
Après l’obtention de deux permis de construire et plusieurs décisions de justice, le Tribunal administratif de Bastia a annulé un troisième permis de construire obtenu pour la construction de 11 villas sur la commune de Pietrosella.
Le tribunal annule l’arrêté du maire en date du 4 octobre 2021 pour trois motifs : violation des articles L.121-8 et L.121-13 du code de l’urbanisme, absence d’autorisation de défrichement ainsi que la localisation de la parcelle dans un espace stratégique agricole (ESA) du PADDUC.
En ce qui concerne la méconnaissance des dispositions de la loi « littoral », les juges considèrent que le secteur d’implantation du projet n’est en continuité ni d’un village ni d’une agglomération. De plus, il se situe dans un espace proche du rivage (EPR) dans lequel l’extension de l’urbanisation ne peut qu’être limitée, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Le fait que 300 mètres et une route départementale séparent les constructions du rivage n’empêche pas le classement en EPR.
L’arrêté litigieux est également entaché d’illégalité au regard des prescriptions du code de l’urbanisme et du code forestier. En effet, tout défrichement d’un ensemble boisé dont la superficie est supérieure à 2,25 hectares est soumis à autorisation. D’une part, le Tribunal relève que la parcelle d’implantation du projet est boisée. D’autre part, il prend en compte les deux autres parcelles boisées contiguës qui forment un tout indivisible dont la superficie est supérieure à 2,25 hectares. Les juges adoptent une lecture globale et ne se limitent pas au découpage parcellaire pour délimiter les contours d’un espace boisé. Par conséquent, l’arrêté est entaché d’illégalité à défaut d’autorisation de défrichement.
Enfin, par voie d’exception, l’illégalité du PLU de Pietrosella fonde également la demande d’annulation de l’arrêté litigieux. En effet, 67 hectares de terres classées en zone constructible sur la commune de Pietrosella, dont celle accueillant le projet, se situent en ESA tels que délimités par la carte des enjeux environnementaux du PADDUC. « Il suit de là qu’eu égard à l’objectif de préservation de 423 hectares fixé par le schéma d’aménagement territorial du PADDUC, les requérants sont fondés à soutenir que la commune s’est éloignée de manière de trop importante de l’objectif fixé par l’Assemblée de Corse. Ainsi, le plan local d’urbanisme étant illégal, les prescriptions du PADDUC relatives à la préservation des espaces stratégiques agricoles, sont opposables au permis litigieux. »
Ainsi, les juges font une application directe des dispositions relatives aux ESA qui ont été récemment rétablies par la Cour administrative d’appel de Marseille.
TA Bastia, 7 décembre 2023, n°2101364 et 2101543 :
Dans le jugement rapporté, le tribunal rappelle de manière classique les dispositions des articles L.121-8 et L.121-13 du code de l’urbanisme telles que précisées par les prescriptions du PADDUC.
Les juges font droit à la demande de l’association U LEVANTE tendant à l’annulation d’un permis de construire aux motifs que les dispositions des articles précités ont été méconnues.
On notera tout de même que le tribunal considère que le projet de construction était situé dans un espace proche du rivage (EPR) dès lors qu’il se trouvait à 300 mètres du rivage, que le terrain était en covisibilité avec le rivage et qu’ils n’étaient séparés que d’une zone plate dénuée de toute construction.
TA Bastia, 15 février 2024, n° 2200722 :
Un nouveau sujet d’actualité s’empare de la jurisprudence corse depuis le rétablissement de la délibération approuvant les cartes du PADDUC délimitant les espaces stratégiques agricoles (CAA Marseille, 3 juillet 2023, n° 22MA01844, cf infra).
Le Tribunal administratif de Bastia rappelle qu’à défaut de PLU ou de tout autre document d’urbanisme, les dispositions du PADDUC sont directement applicables aux procédures de déclaration ou de demande d’autorisation d’urbanisme (article L.4424-11 du CGCT).
Ainsi, dans le cas particulier de la commune de Porto-Vecchio privée de PLU depuis l’annulation de la délibération l’approuvant en 2011, les dispositions du PADDUC relatives aux espaces stratégiques agricoles (ESA) et la carte n° 9 les délimitant sont opposables à la demande de permis de construire déposée et refusée par le Maire.
En l’espèce, le tribunal juge fondé le moyen tiré sur la méconnaissance des dispositions relatives aux ESA.
Il ne fait aucun doute, à la lecture de la carte n° 9 du PADDUC, que le terrain d’implantation du projet se trouve dans un espace stratégique agricole et que le requérant ne démontre pas l’absence de réunion des critères d’identification de ces espaces définis dans le livret IV.
Avec ce jugement, les juges rappellent que les ESA sont strictement délimités par la carte n° 9 qui répond aux critères alternatifs d’identification définis dans le livret IV du PADDUC et qu’il revient au requérant dont le permis de construire a été refusé de démontrer en quoi son terrain ne correspond à aucun de ces critères.
Les arrêts de la CAA
CAA Marseille, 3 juillet 2023, n° 22MA01835 :
La Cour administrative d’appel de Marseille rétablit la carte des espaces stratégiques agricoles (ESA) définis dans le Plan d’Aménagement et de développement durable de la Corse (PADDUC). Cette carte avait été annulée par le Tribunal administratif de Bastia le 29 avril 2022 au motif qu’un vice affectait les documents soumis à l’enquête publique.
Pour rappel, le PADDUC a été approuvé par délibération du 2 octobre 2015 par l’Assemblée de Corse. En 2018, cette délibération a été annulée par le Tribunal administratif de Bastia en ce qu’elle arrêtait la carte des ESA. Par une délibération du 5 novembre 2020, les orientations réglementaires relatives à ces espaces ont été modifiées et une nouvelle carte a été adoptée. C’est cette dernière délibération qui avait été annulée en 2022.
Dans un premier temps, les juges ont rappelé que le projet de modification du plan ne pouvait être modifié « entre la date de sa soumission à l’enquête publique et celle de son approbation, qu’à la double condition que ces modifications ne remettent pas en cause l’économie générale du projet et qu’elles procèdent de l’enquête ».
Ensuite, ils ont relevé que les modifications des orientations réglementaires relatives à la notion d’espace cultivable ne présentent aucun caractère novateur. En effet, elles permettent uniquement de mieux appréhender cette notion au regard du critère de la pente inférieure ou égale à 15%.
En outre, la différence de surface des ESA entre le dossier soumis à enquête et la carte adoptée ne porte pas atteinte à l’économie générale du projet de modification du plan dès lors qu’elle résulte d’une prise en compte de l’évolution de l’artificialisation des terres et de l’exclusion des espaces impropres à une mise en culture.
Enfin, ces modifications résultent toutes de l’enquête publique.
C’est donc à tort que le tribunal administratif a estimé que ces modifications entraînaient des conséquences notables sur le parti d’aménagement retenu et portaient atteinte à l’économie générale du projet initialement soumis à enquête publique.
Le jugement de 2022 a été annulé.
NB la CAA a rendu de nombreux arrêts ce jour-là sur le jugement du TA, même solution. Annulation du jugement.
CAA Marseille, 13 mars 2023, n° 21MA02226 – 21MA02152 – 21MA02146 :
Dans l’arrêt rapporté, la Cour administrative d’appel de Marseille annule partiellement le jugement du Tribunal administratif de Bastia en date du 8 avril 2021 qui annulait, en partie, la délibération du 25 novembre 2019 par laquelle le conseil municipal d’Ajaccio avait approuvé le PLU. Le PLU est ainsi en grande partie jugé légal.
Tout d’abord, la Cour juge que le PLU est compatible avec le principe d’équilibre entre les objectifs de développement urbain et de préservation des espaces naturels fixé par l’article L.101-2 du code de l’urbanisme. Les juges rappellent l’obligation pour les auteurs du PLU de faire figurer les mesures tendant à la réalisation de ces objectifs ainsi que le contrôle de compatibilité que le juge administratif doit exercer. En l’espèce, bien que les besoins en logements aient été surévalués par la commune, il n’en demeure pas moins que le PLU modifié permet une meilleure conservation des espaces naturels et une moindre consommation foncière. Dès lors, le PLU n’est pas incompatible avec le principe d’équilibre de l’article L.101-2 du code de l’urbanisme.
Par ailleurs, la Cour considère que le plan est compatible avec les dispositions du PADDUC relatives aux espaces stratégiques agricoles (ESA). Après avoir rappelé que les dispositions du PLU sont soumises à une simple obligation de compatibilité avec les orientations et objectifs fixés par le PADDUC, les juges admettent qu’à l’échelle du territoire de la commune d’Ajaccio, les erreurs de classement en surface agricole et ESA n’emportent pas de conséquence. La Cour opère ainsi un contrôle global de proportionnalité entre les différentes exigences auxquelles doit satisfaire le PLU.
La Cour rejette également les conclusions de l’association U LEVANTE tendant à faire classer le bois de la Pietrina en espace boisé classé aux motifs que sa configuration (zone d’habitats collectifs) et son caractère (maquis) ne permettent pas d’en faire un espace boisé significatif au sens de l’article L.121-27 du code de l’urbanisme.
Toutefois, la Cour confirme les annulations sectorielles déjà prononcées par le Tribunal administratif de Bastia sur le classement en zone constructible de certaines parcelles et censure, en outre, l’absence d’identification d’une coupure d’urbanisation dans un secteur.
Cet arrêt est surtout un rappel que le contrôle exercé par le juge est avant tout un contrôle de compatibilité entre les règles posées par le PLU et les objectifs de développement durable, de maintien de la biodiversité et des équilibres biologiques que l’on peut entendre plus largement comme des objectifs à visée environnementale.